Interview de l’auteure Emilie Frèche par la classe de Seconde 5 du lycée Becquerel

Lundi 21 janvier 2019,  nous avons eu le plaisir de recevoir Emilie Frèche, la co-scénariste du film « le ciel attendra ». Nous avions préparé une liste de questions mais hélas, le temps nous a manqué pour les poser toutes. La rencontre fut riche et dense et les propos de Mme Frèche ont largement dépassé le cadre de nos questions.

Nous remercions également Mme Ward de la Ligue pour l’enseignement de Paris pour son soutien et sa présence et Mme Valadon, notre interlocuteur attitré sur la presse locale qui s’est occupée du chiot de Mme Frèche pendant toute la rencontre.

Merci à Khadija, Aliya, Carla et Lorine  nos rédactrices et journalistes.

 

1/D’où vient l’inspiration de ce film ?

« En 2014, je suis tombée sur le témoignage d’un père dont le fils, converti à son insu, était parti faire le djihad en Syrie. Il n’avait rien vu venir. Et à ce drame, s’ajoutait le cauchemar d’être montré du doigt comme un mauvais père, et de ne pouvoir réclamer l’aide de l’Etat pour un ressortissant devenu un ennemi de la République. J’ai voulu comprendre comment un enfant né en France et qui avait grandi dans une démocratie pouvait se retourner à ce point contre son éducation, ses valeurs, son histoire. C’est ce basculement que je raconte dans « Je vous sauverai tous ».

2/Combien de temps vous a-t-il fallu pour écrire et produire ce film ?

« On l’a écrit dans l’urgence, à l’été 2015. Le 1er jour du tournage a débuté le 16 novembre, soit 3 jours après les attentats. L’ambiance était dure, on ne savait pas si moralement, on était en droit de tourner ce film, si on pouvait. Et la réalisatrice a décidé d’y aller de toute façon. Le film est sorti un an plus tard. »

3/Pourquoi avoir choisi deux jeunes filles plutôt que des garçons ?

« La question du sexe ne s’est pas posée. C’était une évidence tout de suite. Sans doute parce que je suis moi-même une femme et que pour la première fois de ma vie, avec la montée de l’islamisme radical, je me sens en danger en temps que femme. Je n’ai eu à me battre pour aucun de mes droits – avortement, pilule, divorce par consentement mutuel, droit de vote, compte en banque… Tous ces combats-là, ce sont ma mère et ma grand-mère qui les ont menées pour moi. L’islamisme radical, comme tout intégrisme religieux, remet nos libertés en question. Et il me semblait important, pour moi qui suis une femme, de le dire à travers ce film et ce livre ».

4/ Lequel de ces personnages préférez-vous ?

« La mère. C’est le courage et l’amour incarnés »

5/ Pourquoi avoir demandé l’intervention du centre de prévention des dérives sectaires liées à l’Islam ?

« Nous n’avons pas demandé l’intervention du CPDSI, nous avons assisté à des groupes de paroles, ce qui a permis de nourrir nos personnages. D’être au plus proche de la réalité. »

6/Le film est-il inspiré de faits réels ? Avez-vous déjà vécu une histoire similaire dans votre entourage ?

« Le film mélange plusieurs trajectoires que nous avons entendues »

7/Comment avez-vous fait pour connaître les versets du Coran ?

« Une jeune conseillère faisait partie de l’équipe du tournage, elle était sous surveillance judiciaire car elle     était dans un processus de déradicalisation, elle nous a informé sur des détails. Cette jeune fille a été détruite psychologiquement et on ne se déradicalise jamais en fait car elle avait encore des contacts, elle avait perdu le sens des réalités. »

8/Avez-vous eu peur de la réaction des spectateurs après la sortie du film ? Avez-vous eu des craintes qu’il soit mal compris ?

« Pas du tout, c’est très clair dans ma tête, je combats le radicalisme et je défends la liberté. Je pense que le film aurait pu aller plus loin sur ce thème. Je défends la démocratie et la liberté d’expression. La France est un état laïque où chacun a le droit de croire ou de ne pas croire. Le blasphème y est autorisé, même si les Unes de Charly Hebdo heurtent parfois, on peut avoir recours à la justice. Par rapport à l’actualité des « gilets jaunes », même si leurs doléances sont tout à fait recevables, certains remettent en question la légitimité d’une personne élue par les français ce qui est une atteinte à la démocratie. La démocratie est fragile et l’histoire montre que si nous ne la préservons pas, le totalitarisme s’installe ».

9/Pouvez vous nous expliquer le titre du film « le ciel attendra » ?

« Le ciel attendra », signifie ce qui compte c’est le présent. C’est ce que nous vivons ici et maintenant. Et ici et maintenant, nous ne pouvons pas adhérer à des idéologies mortifères. La vie est trop précieuse. »

10/La scène où Mélanie est avec sa copine dans sa chambre, nous a semblé essentielle pour bien distinguer l’islam de l’islamisme, est ce selon vous une des priorités du film ?

« Tout à fait. La ligne est claire et je n’ai pas eu du tout peur de choquer. »

11/La vidéo des animaux sauvages présente dans le film marque –t’elle le début du processus d’embrigadement ? Pourquoi selon vous ?

« les vidéos d’animaux sont réelles, elles ont été faites par Omar Omsen, un ancien voyou de Nice reconverti dans le djihadisme. On considère que 80% des jeunes partis en Syrie ont vu ces vidéos. Elles s’inscrivent dans les théories du complot et visent à faire croire, à partir de choses vraies, que l’apocalypse est pour bientôt, afin d’angoisser la victime et à force de la fragiliser pour resserrer l’étau, et dans un deuxième temps, lui faire admettre que l’adhésion à la charia sera la seule solution pour ne pas mourir. »

12/Pourquoi avoir choisi de marquer l’impuissance des parents ?

« L’histoire de ce papa m’a bouleversé et étant mère de trois enfants, j’ai pris conscience que même si nous subvenons aux besoins matériels de nos enfants (vêtements, téléphones, activités périscolaires…), il est important de se dégager un temps pour le dialogue et l’écoute. »

13/Lors des scènes où l’on voit Mélanie en cours, le choix des sujets abordés n’est pas un hasard, pouvez vous nous expliquer les symboles évoqués (Tartuffe, Bel ami, la Laïcité…) ?

« Ces choix de textes sont les valeurs que nous défendons, et qui font la richesse de notre système  l’esprit critique, la tolérance, la liberté, le respect de l’autre… Autant de valeurs qui sont des biens inestimables et qui vous appartient, vous la jeune génération, de défendre autant et aussi bien que les obscurantistes défendent leurs idées mortifères. C’est un combat dur et de longue  haleine, mais il faut le mener ! »